DOUBLE RÉFLEXION

 

J’ai 20 ans, j’habite à cent mètres du canal Saint-Martin et ça fait deux mois que je suis confiné.

Ça y est, on va pouvoir sortir sans attestation. J’ai vraiment envie de revoir mes potes. Les bars et les cafés sont fermés mais comme il fait beau, on a prévu de se retrouver quai de Jemmapes, côté soleil, avec une petite réserve de canettes. Les gestes barrières, on les connaît et on est tous d’accord pour les respecter : pas d’embrassades, on ne sert la main de personne, on reste à bonne distance les uns des autres, etc. Bon, ne pas se toucher, ça ne va pas être facile, mais on veut bien croire que c’est important alors, ok, on fera notre maximum.

J’imagine que la mairie de Paris et la mairie du 10 ont prévu qu’il y aurait foule sur le canal et aménagé un tant soit peu l’espace pour nous inciter à respecter ces fameux gestes barrières. Un trait de bombe orange ou blanche par terre, comme devant les bureaux de poste et de plus en plus de magasins pour avoir une idée des distances, ce n’est pas compliqué. J’imagine que, dès le début de l’après midi, des « brigades blanches » de jeunes, reconnaissables à un brassard ou un gilet blanc, vont déambuler sur les berges, histoire de nous rappeler en permanence que le risque sanitaire reste vraiment grand, et peut-être même en profiteront-ils pour distribuer des masques et du gel hydroalcoolique à ceux qui n’en auront pas. Des jeunes appartenant par exemple à toutes ces associations subventionnées par la mairie de Paris qui d’ordinaire font de la régulation de nuit et qui là feront de la régulation de jour puisque les nuits sont fermées ; ou pourquoi pas, des bénévoles recrutés temporairement pour faire face à cette situation de dingue.

C’est ce que j’imaginais, mais une fois sur le canal, je n’ai rien vu de tout ça et et c’est vrai qu’au fil des heures, avec la bande, trop contents de se retrouver, on n’a plus fait très attention.

Puis vers 7 heures du soir, une voiture de police a déboulé et on s’est fait très fermement rappeler à l’ordre par mégaphone. C’était brutal mais heureusement que la police est intervenue ; parce que c’est vrai qu’on avait fini par oublier de se protéger, et de protéger les autres….

 

Je n’ai plus 20 ans, j’habite sur le canal Saint-Martin, voici 2 mois que je suis confiné.

Mon âge fait que je suis considéré comme une personne à risque. J’ai pleinement conscience que Paris reste dans le rouge du rouge concernant la propagation du virus. Il fait beau, pas besoin d’être grand clerc pour prévoir que les charmes du canal vont comme d’habitude attirer des foules de jeunes. Puisque tout le monde s’y attend, j’imagine que des mesures d’accompagnement appropriées ont été mises en place. Et de ma fenêtre je regarde.

Je ne vois rien pour rappeler l’impérieuse nécessité de respecter les gestes barrières : aucune signalétique – aucun marquage au sol, aucune affiche – et aucune présence humaine pour faire un début de pédagogie. En revanche, je vois des groupes de jeunes de plus en plus nombreux et de plus en plus denses se constituer au fil de l’après-midi. Il a fallu attendre les alentours de 19 heures et l’arrivée d’une voiture de police pour qu’un puissant rappel à l’ordre intervienne.

Alors je suis vraiment en colère. Comment peut-on, quand c’était si prévisible, laisser s’installer une situation qui fait courir un risque sanitaire certain à la fois aux jeunes présents et à la population en général ? Merci à la police nationale d’être intervenue, mais un travail de prévention et d’accompagnement aurait dû être mis en place en amont par les autorités compétentes pour aider la police nationale qui a d’autres priorités.

Et cette colère se transforme en stupéfaction lorsque je prends connaissance des intentions de la mairie centrale dans la presse.

Sans qu’à aucun moment les riverains concernés en aient été informés, sans la moindre concertation, je découvre que la mairie de Paris a décidé de privatiser certaines rues pour les transformer en immenses terrasses au profit des bars et des cafés ou pour organiser des concerts. Comme si deux mois de confinement n’avaient pas déjà suffisamment éprouvé les parisiens et qu’il fallait sans délai recréer des conflits.

Un des rares bénéfices du confinement a été de faire prendre conscience aux parisiens de la nuisance permanente que réprésentait la pollution sonore. Cette pollution doit être une priorité de santé publique au même titre que la pollution atmosphérique. Elle coûte à la France au moins 60 milliards d’euros par an et fait perdre plusieurs années de vie en bonne santé à des milliers de franciliens. Depuis qu’ils ont goûté au calme et au silence, depuis qu’ils ont découvert ce qu’était un milieu urbain apaisé, les parisiens sont unanimes à craindre le retour d’un niveau de pollution sonore identique à celui qui existait avant la pandémie.

L’activité des bars, des cafés et des restaurants doit reprendre, elle est nécessaire à la vie parisienne. De même, les activités artistiques et culturelles sont essentielles et elles aussi doivent reprendre. Chacun peut comprendre que ces activités devant intégrer les contraintes liées à la présence du virus pour un long moment, leur reprise nécessite d’imaginer de nouveaux modes d’organisation et d’accueil du public. Mais quelles que soient les nouvelles formes de convivialité imaginées, elles ne doivent en aucun cas avoir pour conséquence de polluer encore plus le cadre de vie des riverains.

Nous traversons une période que personne n’aurait imaginée il y a quelques mois. Cette situation oblige à construire un demain plus respectueux de l’environnement, moins pollué tant au niveau de l’air que du bruit. La reprise d’activité des bars, cafés, restaurants, lieux culturels et festifs, nous impose, nous citoyens et élus, le devoir d’inventer une forme de cohabitation apaisée. C’est possible à deux conditions : que l’élaboration se fasse en concertation de tous, y compris des riverains, et qu’il y ait, d’urgence, ensemble, la co-construction d’un nouveau cadre de régulation efficace, rapide et transparent qui préserve la liberté d’entreprendre de chacun sans pour autant nuire à la santé de quiconque.

Madame la Maire de Paris, nous vous demandons instamment de démarrer en urgence cette étape de concertation incluant les associations de riverains.

 

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