Lettre ouverte à Messieurs Gilles Le Gendre, Président du groupe LaRM à l’Assemblée Nationale, élu de Paris, deuxième signataire de cet amendement ; Benjamin Griveaux, Député de Paris, candidat à la Mairie de Paris ; Pacôme Rupin, Député de Paris.
Copie à Madame Laurianne Rossi, Questeure à l’Assemblée Nationale, Députée des Hauts-de-Seine
L’article 28 quater de la loi d’orientations sur les mobilités vient d’introduire dans le code de l’environnement un article L.571-1 A ainsi rédigé : « L’État et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans son domaine de compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l’objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun de vivre dans un environnement sonore sain. »
Lutter contre la pollution sonore est un enjeux national majeur qui doit être décliné localement. Le journal Le Monde, à l’occasion de l’ouverture de la COP25, souligne combien la communauté internationale et les politiques ont ignoré les avertissements des scientifiques concernant le réchauffement climatique et le rôle néfaste de certains lobbies semant volontairement le doute dans l’opinion. Ne faites pas la même erreur avec la pollution sonore. Faites au contraire que la France et Paris servent de modèles et soient à la pointe du développement de toute une filière économique et scientifique de lutte contre la pollution sonore.
Considérant son impact sur la santé des populations, l’Organisation Mondiale de la Santé classe la pollution sonore en deuxième position après la pollution atmosphérique. Il existe aujourd’hui des données scientifiques « dures » prouvant les méfaits de cette pollution et des troubles du sommeil qu’elle induit la nuit, notamment chez les enfants et les adolescents. Cette pollution est aujourd’hui responsable de plusieurs centaines de milliers d’années de vies en bonne santé en moins et coûte au moins 57 milliards d’euros à la société.
Malheureusement, son impact est encore considérablement minimisé et certains lobbies, particulièrement pollueurs, sont très efficaces pour contourner leurs responsabilités en trouvant des arrangements pour continuer à polluer. Et c’est bien de cela dont il s’agit. La République en Marche a voté, en première lecture, un amendement visant à modifier l’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation. Cet amendement est très court, trois mots. Mais le diable se cache dans les détails. Présenté comme « visant à mieux protéger les activités sportives, culturelles et touristiques déjà existantes », il est en réalité porté par le lobby de la nuit qui voudrait que des lieux polluants, passant au travers des mailles de la législation, mailles aujourd’hui très larges car non adaptées aux nouveaux usages, soient sanctuarisés dans leur capacité à polluer en leur faisant bénéficier, par le biais de cet article, du principe de « pré-occupation » (ou antériorité) et retirant ainsi à tout nouveau riverain la possibilité de faire valoir ses droits pour mettre fin à cette pollution.
L’argumentaire qui justifie cette proposition de modification de la loi vaut la peine d’être lu avec attention. C’est une véritable tartufferie : contre-vérités, mensonges éhontés, oublis volontaires pour déformer et inverser la vérité. Aller jusqu’à avancer que des plaignants auraient plus de facilités que les exploitants de ces lieux est proprement honteux, presque insultant, quand on sait la rapidité et la facilité à pouvoir créer ces nuisances et l’extrême difficulté et lenteur que vont rencontrer les victimes de cette pollution pour essayer de faire valoir leurs droits. C’est cette incroyable asymétrie qui crée tensions, souffrances, désespérances chez les riverains. En outre, Il occulte totalement les méfaits de la pollution sonore. Il cherche à renverser la question en essayant de faire croire que ces « nuisances », jamais nommées par le terme de « pollution », seraient indispensable à l’expression artistique ou à l’organisation de la fête.
Nous pensons, nous aussi, que la création artistique et la fête sont des éléments indispensables au bien-être d’une société et doivent être encouragés. Mais nous pensons aussi que l’espace de la création et de la fête doit s’inscrire dans ce qui est le socle de notre démocratie et doit respecter le 4° article de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui . C’est possible : cela implique simplement que la création artistique et la fête se fassent dans des lieux adaptés ne polluant ni l’environnement ni les riverains.
Et c’est bien là que vous, élus de la République en Marche, vous devez être clairs et cohérents dans votre message politique.
Soit vous faites de la lutte contre la pollution sonore un enjeu important s’inscrivant dans une politique éco-responsable et vous serez entendus par une très grande majorité de Français qui souffre de cette pollution. Vous devez alors identifier secteur par secteur les principales causes de pollution sonore et essayer de les traiter. Vous devez refuser l’idée que la pollution sonore est un élément indispensable à la création artistique et la fête. Vous devez au contraire faire comprendre que notre intérêt collectif est de faire en sorte que création artistique et fête doivent maintenant intégrer la protection auditive des spectateurs, une diminution de la pollution sonore environnementale et une amélioration du sommeil de ceux qui doivent dormir. Non seulement c’est souhaitable mais c’est possible. Ce message politique clair devrait donner un formidable coup d’accélérateur à tout un secteur à la fois économique et scientifique portant sur les outils de mesure de la pollution sonore, ses conséquences sur la santé, les moyens de prévention, les moyens low tech et high tech concernant l’isolation phonique des locaux et des espaces publics. La remise des Décibels d’Or par le Conseil National du Bruit illustre parfaitement tout le potentiel de ce gisement. Choisir cette politique c’est aussi mieux protéger la santé des populations et c’est permettre aux artistes et organisateurs de fête de continuer à créer tout en devenant éco-responsables et respectueux de l’environnement. C’est ce que tout le monde souhaite. Et c’est le message politique que nous aimerions entendre.
Soit vous choisissez de voter, sous la pression de lobbies, cet amendement qui sanctuarise le droit à polluer car c’est bien ainsi qu’il va être compris par les professionnels, ils suffit de lire les articles de presse. Alors, de facto, vous vous mettez en contradiction avec les engagements que vous prenez sur le terrain. Cet amendement, sous couvert de protéger la création artistique, aura pour conséquence d’augmenter les conflits, de renforcer le clivage qui existe aujourd’hui avec l’apparition de quartiers où fêtes, alcool, pollution sonore nocturne font fuir les résidents et les commerces de proximité remplacés par des locations type Airbnb comme déjà à Barcelone ou Budapest. Cette évolution des Villes est contraire à la politique actuelle de redynamisation des centres villes, contraire aux ambitions affichées d’une politique de la ville durable, souhaitable et éco-responsable. Adopter cet amendement c’est faire le choix politique de faire passer les intérêts d’un tout petit groupe plutôt que de défendre l’intérêt général et c’est contraire à ce à quoi un élu de la République est déontologiquement tenu.
Concernant Paris, si cet amendement est adopté, vous, LaRM, ne pourrez plus nous dire que vous avez pris la mesure des méfaits de la pollution sonore et nous promettre que vous allez lutter contre cette pollution. Cet amendement ne fera qu’aggraver considérablement cette trop grande asymétrie qui existe déjà entre les pollueurs et ceux qui subissent cette pollution. Il aura pour effet d’accentuer le clivage qui se dessine aujourd’hui avec l’apparition de quartiers où fêtes, alcool, pollution sonore nocturne font fuir les résidents.
Nous espérons vous avoir convaincus qu’il ne fallait pas que cet amendement soit définitivement adopté. Nous souhaitons connaître votre décision et les moyens que vous allez engager pour qu’il ne soit pas adopté en seconde lecture.
Nous restons à votre entière disposition pour discuter plus longuement de cette question.
Respectueusement,
Docteur Bertrand Lukacs
Président de l’association Habiter Paris