La Plateforme de la vie nocturne a organisé fin novembre des États généraux du droit à la fête dans le but de produire un livre blanc du droit à la fête à destination des «dirigeants nationaux et locaux – président de l’Assemblée nationale, députés, fédération d’élus territoriaux, maires de petites, moyennes et grandes villes françaises, présidents de métropoles …. »
Habiter Paris a participé à ces états généraux en organisant une table ronde sur le thème « Villes, Nuit, Fête, Sommeil : quelles régulations demain ? ». Elle était animée par Bertrand Lukacs, président de Habiter Paris. Sont intervenus : Frédéric Hocquard, adjoint à la Maire de Paris, tourisme et vie nocturne ; Gildas Salaun, adjoint à la Maire de Nantes, commerces et la ville la nuit ; Cyrille Jaber, conseiller municipal, Mairie de Bordeaux, vie nocturne, Corinne Tresca, riveraine, Habiter Paris.
Le livre blanc issu de ces états généraux propose 170 préconisations. Nous nous sentons en porte-à-faux avec la majorité d’entre elles.
Par ailleurs, plusieurs postulats de départ, exprimés ou implicites, sont discutables voire erronés.
L’intitulé de l’événement – États généraux du droit à la fête – vise à répandre et accréditer l’idée que la fête est un droit juridique.
Il joue à dessein sur une confusion entre deux sens du mot droit, le droit en tant que prérogative ou privilège conforme à une règle, et en tant que tel exigible, et le droit en tant que possibilité, permission, autorisation.
La crise sanitaire actuelle est de fait une entrave à la fête, mais personne ne conteste à quiconque le droit de s’amuser. Assimiler les conséquences de la crise sanitaire à la négation d’un droit est abusif.
Changer de sens et donner à la fête le sens de droit en tant que règle exigible, implique que la fête doit être juridiquement protégée. Dans le contexte actuel, exiger la protection de la fête implique à son tour toute une série de dérégulations de l’espace public.
Il est compréhensible et totalement admissible que les acteurs économiques de la nuit s’organisent aujourd’hui pour défendre leur avenir. Mais pour les citoyens, habitants, riverains, résidents… quel que soit le vocabulaire choisi, il n’est pas acceptable que cette dérégulation de l’espace public ne s’accompagne pas de solides mesures de protection et/ou de restauration de la tranquillité publique.
La crise sanitaire entraîne, ou va entraîner une crise économique majeure qui touchera de nombreux secteurs, tout particulièrement le secteur des hôtels, restaurants, cafés, bars… Pour autant, cette crise sanitaire ne doit pas devenir un alibi pour déréguler à long terme.
Des garde-fous, des réserves, des limites dans le temps doivent être mis en place parallèlement à toute dérégulation. La crise sanitaire surmontée, il doit être possible de revenir, a minima, à l’état antérieur. A minima car le bon sens serait de profiter de cette vaste mise à plat pour créer de meilleures conditions environnementales, pour mieux prendre en compte la santé environnementale.
Aussi bien dans les introductions que dans les comptes rendus de tables rondes, la nuit est exclusivement considérée sous un aspect ludique. Le sommeil, besoin physiologique incontestable, que personne ne peut remettre en question, est totalement ignoré. Le mot « sommeil » apparaît en tout et pour tout six fois dans l’ensemble du texte… dans la contribution de Habiter Paris.
La fête est présentée comme indissociable de la nuit, or la fête n’a pas besoin de la nuit pour exister.
La nuit-fête serait ancestrale. La fête la nuit n’est pas nouvelle, certes, mais les pratiques festives et usages actuels sont, eux, très récents. Pour reprendre un exemple toujours cité par la Mairie de Paris, de fait Pigalle est depuis des lustres un lieu de fêtes nocturnes, de plaisirs disait-on dans le temps, mais il y a 20 ans, les « pratiques festives » avaient lieu en intérieur, sans débordements sur l’espace public, hormis ceux dus à l’envahissement des autocars de touristes.
L’impossibilité actuelle (ou habituelle) de faire la fête est à plusieurs reprises assimilée à un rejet des jeunes et des minorités sexuelles, une explication simpliste et victimaire qui revient quasiment à sous-entendre que lutter contre la pollution sonore serait de l’homophobie.
Les préconisations concernant la tranquillité publique et la santé environnementale, essentiellement formulées par Habiter Paris, apparaissent comme très décalées voire antinomiques au milieu du flot de préconisations de dérégulation de l’espace public.
En réalité, concernant les préconisations des autres contributeurs, celles évoquant la concertation avec les habitants ou la mise en place d’outils de contrôle se comptent sur les doigts d’une main et permettent à leurs auteurs de se dédouaner à bon compte.
L’installation d’instances de réflexion sur la nuit festive est solennellement demandée –Conseil national de la vie nocturne (extension de la Plateforme de la vie nocturne), États généraux de la nuit, Plateformes locales d’acteurs de la nuit, Assises de la nuit, voire un secrétariat d’État ou une mission interministérielle…. Nous craignons qu’elles deviennent essentiellement des instances de promotion de la dérégulation ou des caisses de résonance de la fête à tout prix.
Pour finir, ce livre blanc ne nous paraît pas avoir la caution scientifique qu’il revendique. Les citations des membres du « comité scientifique » nous laissent sur notre faim. Non datées, dénuées de références bibliographiques, certaines semblent sorties de leur contexte. Dommage que tous ces auteurs n’aient pas participé aux tables rondes.